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Nicolas Houel

  • Promotion 2011
  • poste Docteur en urbanisme nocturne, fondateur de l'Observatoire de la nuit

En plus d'acquérir les bases du dessin, l'année préparatoire est là également pour aider les étudiants à s'orienter sur leur choix de carrière futur grâce à la pluridisciplinarité de ses enseignements. C'est ainsi que Nicolas Houel s'est découvert une passion pour la section Design d'Espace. Doctorat, enseignement et étude de la lumière un parcours riche et passionnant. Découvrez son portrait.

Retour sur tes années ESMA

QU’EST-CE QUI T’A POUSSÉ À TE DIRIGER VERS LE MONDE DU DESIGN D’ESPACE ?

Au départ, je m’intéressais davantage à l’univers de la communication visuelle. À partir de mes 14 ou 15 ans, je commençais à me former, surtout via des forums, aux outils de retouche d’image et de conception graphique. En parallèle, je menais un parcours scolaire scientifique qui ne me convenait pas. Une fois le bac obtenu, je me suis d’abord orienté vers un cursus universitaire, que j’ai rapidement abandonné pour revenir vers un enseignement créatif, que j’ai entamé avec la MANAA à l’ESMA Montpellier en 2009. Durant cette MANAA, j’ai découvert le design d’espace et j’y ai orienté ma trajectoire.

POURQUOI AVOIR CHOISI D’INTÉGRER LA FORMATION DE L’ESMA ?

L’ESMA, en parallèle des BTS (ndlr : les BTS ont été remplacés par les Bachelors), propose aussi une formation en cinéma d’animation 3D d’excellence. Sachant que je découvrais l’enseignement artistique et que j’adorais les outils de représentation numérique, j’imaginais éventuellement m’orienter vers la formation cinéma 3D. Dès lors, l’ESMA devenait le meilleur environnement d’études pour moi.

Mise en lumière des remparts de Port-Louis (56) – Crédit photo : Nicolas Houel & Léa le Thoër

QU’EST-CE QUE LA FORMATION T’A APPORTÉ ?

L’ESMA m’a apporté la détermination de ma trajectoire professionnelle. J’y suis arrivé sans aucune compétence artistique, aucune culture de cet univers dont j’ignorais tout. J’amenais simplement avec moi mes intuitions créatives. Je me rappelle encore des cours de Laurent Soen en MANAA : « qui a déjà fait de la pers. (perspective) ? », j’en voyais lever la main, autour de moi. Je n’avais même pas compris la question !

Avec l’ESMA, j’ai démarré la création d’une voie académique et professionnelle sur-mesure, que je nourris toujours aujourd’hui. Alors évidemment, l’ESMA m’a ouvert aux connaissances et compétences entendues dans l’environnement artistique : histoire de l’art, pratique de différents media de représentation, conceptualisation et représentation des projets, etc.

Mais il y avait aussi cette équipe pédagogique solide et solidaire derrière, qui donnait confiance et était toujours très généreuse en accompagnement, en conseil, en valorisation. L’apport fondamental de l’ESMA dans mon parcours, c’est la sensation de partager des valeurs communes avec des enseignants-praticiens, de cheminer dans un univers de gens passionnés, ravis de transmettre et d’accompagner des professionnels en devenir.

Y AVAIT-IL UNE MATIÈRE QUE TU APPRÉCIAIS EN PARTICULIER ?

Difficile de trancher. Studio de projet, histoire de l’art, cours de français ? Tout ce qui peut se rapprocher d’une forme d’expression. Disons que ces trois matières se répondaient, qu’elles se nourrissaient et qu’elles alimentaient les éléments créatifs du projet. Et puis, ces trois matières apportaient de nouvelles connaissances et découvertes en permanence, c’était résolument stimulant !

EN SORTANT DE LA FORMATION, AVAIS-TU UNE IDÉE PRÉCISE DE CE QUE TU VOULAIS FAIRE ?

Poursuivre ! Aller plus loin, continuer d’alimenter ce que ces 3 années (MANAA + BTS) m’avaient laissé entrevoir. Alors je me suis orienté vers une école d’architecture. J’ai été accepté à Nantes sur dossier en 2011, pour obtenir le Diplôme d’Etat d’architecte en 2015 et le grade de docteur en urbanisme en 2020.

Ton parcours professionnel

PEUX-TU NOUS PRÉSENTER TON MÉTIER ET TON PARCOURS PROFESSIONNEL DEPUIS L’OBTENTION DE TON DIPLÔME ?

Je suis aujourd’hui docteur en urbanisme, avec une spécialité liée à la pédagogie de la sobriété lumineuse. Durant l’école d’architecture, j’ai pu m’intéresser aux usages de l’éclairage artificiel, en créant entre autres un spectacle nocturne dans les menhirs de Carnac, intitulé Skedanoz. À la sortie de mes études d’architecture, j’ai lancé mon activité de concepteur lumière et j’ai entamé en parallèle une activité d’enseignement à l’ESMA de Nantes.

Skedanoz 2017, Carnac (56). Crédit photo : Julien Danielo

En 2017 Laurent Lescop, mon professeur de master, m’a proposé une opportunité unique : réaliser une thèse de doctorat sur l’élaboration du futur Schéma de Cohérence d’Aménagement Lumière de Nantes Métropole, sous la forme d’un contrat CIFRE avec le service d’éclairage de la métropole. À l’image des 3 ans passés à l’ESMA Montpellier, ces 3 ans de thèse ont été d’une importance capitale dans ma trajectoire.

J’y ai développé l’approche théorique et méthodologique que je recherchais, et que je propose désormais dans l’ensemble de mes activités : enseignement ; conseil aux collectivités, aux associations et aux entreprises privées ; recherche scientifique axée sur la sobriété lumineuse et la place de l’obscurité dans nos quotidiens et cultures. Mon métier comprend à la fois des projets d’illumination architecturale, des projets de scénographie du paysage et d’éclairage public et, dans une approche plus prospective, d’accompagnement des gestionnaires d’éclairage public et privé dans l’amélioration de leurs parcs d’éclairage.

Je suis à mi-chemin entre le lighting designer et le dark designer, avec une préférence assumée pour l’ouverture aux expériences cognitives positives de l’obscurité. Cette dernière, lorsqu’on s’y intéresse, présente un caractère résolument transversal : psychologie, physiologie, philosophie, etc., elle est l’une des dimensions quotidiennes incontournables et indispensables, que l’on met pourtant actuellement à l’écart par l’omniprésence de l’éclairage artificiel. L’obscurité, lorsqu’accessible, a pourtant de nombreuses vertus.

TU ES PASSÉ PAR PLUSIEURS ENTREPRISES, QU’EST-CE QUE CELA T’A APPORTÉ ?

Durant mon parcours scolaire, j’ai réalisé plusieurs stages dans des structures de différentes tailles et aux activités variées. Des cabinets d’architecture orientés vers les équipements publics, d’autres davantage vers des clientèles privées. Ces expériences apportent, simplement, un aperçu de ce que pourrait être l’activité professionnelle en tant que salarié ou même gestionnaire d’une structure, à plus ou moins grande échelle. Elles représentent un très bon exercice de mise en condition professionnelle et permettent d’orienter les aspirations, déterminantes dans la prise de décision ensuite. Les stages que j’ai pu effectuer ont servi à ça : dresser l’image la plus complète possible des activités accessibles dans mon domaine d’étude, pour m’aider à déterminer la trajectoire à emprunter.

TON PARCOURS DÉMONTRE UNE APPÉTENCE POUR LA SCÉNOGRAPHIE. POURQUOI CE CHOIX ? EN QUOI EST-CE PARTICULIER ?

Il y a quelque chose d’inédit à imaginer l’espace, notamment nocturne. Il s’agit certainement de la concrétisation d’un imaginaire personnel, proposé à des spectateurs. Je repense particulièrement aux spectacles conçus pour les alignements de menhirs de Carnac. Ils comprennent à la fois l’expérience vécue personnellement et l’expérience vécue par ceux qui y assistent. De mon point de vue, c’est à cet endroit que réside mon appétence pour la scénographie : dans la modélisation d’un espace-temps qui offre l’accès à des connaissances et des perceptions nouvelles ou renouvelées d’un environnement, d’un contexte précis.

Pour poursuivre sur l’exemple des menhirs de Carnac, la nuit permet de les contextualiser visuellement, en profitant de l’obscurité pour mettre en évidence les éléments iconiques du paysage et laisser à la faveur de l’obscurité certains objets architecturaux et urbains qui ne prennent pas part au spectacle. Il y aussi, peut-être de manière prioritaire, la mise en récit du paysage. Par la lumière d’abord, par la musique ensuite, et enfin par la narration.

Nous profitons de l’ambiance nocturne et de ses représentations culturelles pour créer un cadre favorable à la transmission de connaissances archéologiques, historiques, théologiques ou encore légendaires du patrimoine. De cette manière, l’espace-temps nocturne devient un lieu privilégié pour le développement d’une forme de pédagogie proche de celle des soirées contées.

Skedanoz 2019, Carnac (56) – Crédit photo : Raphaël Meert

AUJOURD’HUI TU T’ES TOURNÉ VERS LA RECHERCHE. POURQUOI CE CHOIX ? EN QUOI CELA CONSISTE-T-IL ? SUR QUELS PROJETS TRAVAILLES-TU ?

Disons que c’est davantage la recherche qui s’est tournée vers moi, grâce à la proposition de mon ancien professeur Laurent Lescop, devenu mon directeur de thèse. Il s’est agi d’une formidable opportunité : j’étais à la recherche d’une manière de faire progresser l’approche théorique de mon travail, tout en développant des cas d’étude technologiques sur le terrain (je pense ici au projet Interactive Data Light). La thèse, menée sous un Contrat Industriel de Formation par la Recherche (CIFRE) a permis aux deux mondes – académique et opérationnel – de se rencontrer.

J’ai développé un projet de recherche intitulé Pédagogie de la sobriété lumineuse, qui interroge les méthodes et outils de conception des ambiances urbaines nocturnes actuelles et ouvre de nouvelles pistes, toujours méthodologiques et techniques, au sujet du rapport individuel et sociétal à l’obscurité. J’ai travaillé en rapport étroit avec le service Eclairage public de Nantes Métropole, qui était mon employeur dans le cadre de la CIFRE. Nous avons réalisé ensemble le SCAL : Schéma de Cohérence d’Aménagement Lumière. Le travail théorique que j’y ai engagé consiste en une méthodologie participative d’évaluation et de conception des ambiances urbaines nocturnes, au travers d’outils numériques d’enquête, de représentation et d’analyse des composantes nocturnes de l’espace public.

J’ai terminé la thèse fin 2020 et je travaille désormais sur deux sujets concrets : l’implémentation des méthodes et outils initiés dans la thèse dans des situations urbaines réelles dans d’autres métropoles de France, et leurs adaptations à des environnements ruraux, notamment dans les Parcs Naturels Régionaux du Massif central.

TU AS UNE APPÉTENCE POUR LA LUMIÈRE, QU’EST-CE QUI T’ATTIRE DEDANS ? ET POURQUOI SPéCIFIQUEMENT L’ÉCLAIRAGE URBAIN ?

Au travers de la lumière, c’est davantage l’obscurité qui m’intéresse. La partie la plus importante de mon travail consiste à distribuer le moins de lumière possible et à tenter de révéler les vertus positives de l’obscurité. En un mot, faire évoluer le paradigme du jour artificiel communément admis aujourd’hui. Si l’on revient aux principes de réalité actuels, il ne s’agit surtout pas d’éteindre l’ensemble des villes et villages, mais bien de réfléchir à une contextualisation, une localisation de l’obscurité dans l’espace et dans le temps.

Ce travail a plusieurs aspects bénéfiques : il contribue à la préservation de l’énergie et de la biodiversité et interroge notre rapport individuel et sociétal à l’obscurité, mis à distance depuis le déploiement généralisé de l’éclairage public au cours du XXe siècle, et la disparition, par conséquence, de l’obscurité et des bienfaits que l’on pouvait en retirer.

Skedanoz 2018, Arzon (56) – Crédit photo : Julien Danielo

PEUX-TU NOUS PARLER DE L’OBSERVATOIRE DE LA NUIT QUE TU AS FONDÉ ? SES MISSIONS, SES OBJECTIFS ETC.

L’Observatoire de la nuit est une société créée à la sortie de mon travail de thèse. Ses objectifs sont pluriels : répondre aux demandes d’illuminations architecturales intérieures et extérieures, pérennes et éphémères, participer à des phases de programmation urbaine sur le volet nocturne et si possible de manière participative et enfin permettre l’animation de conférences et d’ateliers pédagogiques pour tous publics.

Je travaille avec des outils numériques spécifiques développés durant mon travail de recherche, qui me permettent d’apporter des services d’enquête, d’analyse et de représentation inédits et utiles aux maîtrises d’ouvrages publiques et privées avec lesquelles je travaille. La mission principale de L’Observatoire de la nuit est, dans la suite logique de mon travail de recherche, de contribuer à la sobriété lumineuse, cette fois-ci dans le cadre de projets et programmes d’aménagements concrets.

TU ES TRÈS ACTIF PUISQUE TU ES ÉGALEMENT RÉDACTEUR INDÉPENDANT. COMMENT ES-TU VENU A LA RÉDACTION ? QU’EST-CE QUE CELA T’APPORTE ?

L’écriture est l’une des activités créatives que je préfère, je crois qu’elle m’offre un espace-temps libérateur. Pour ce qui est de la rédaction indépendante à proprement parler, les premières étapes se sont construites avec Vincent Laganier, le rédacteur en chef de la plateforme d’actualité en ligne Light Zoom Lumière.

Suite à l’une de ses interventions à l’école d’architecture de Nantes, je me suis porté volontaire pour rédiger le compte-rendu de son atelier. De là est né un partenariat qui dure depuis. La rédaction m’apporte, comme je l’indique en introduction, un moment éloigné des phases de conception d’un projet nocturne. J’y retrouve un medium d’expression différent, souvent lié à l’actualité, qui m’offre l’opportunité supplémentaire d’exercer une veille régulière sur les sujets liés à mon activité.

CE N’EST PAS COMPLIQUÉ TOUTES CES CASQUETTES ? TOUS CES POSTES DIFFÉRENTS À GÉRER ?

Disons qu’il y a une souplesse exigée. Certains postes requièrent peu de temps, mais de manière immédiate là où d’autres me mobilisent plus longtemps, mais sur une période plus étendue. La rédaction par exemple, présente des délais très courts, mais un temps d’exécution lui aussi relativement rapide. À l’inverse, un projet de programmation urbaine demande un investissement important, mais sur plusieurs mois voire années.

Skedanoz 2015, Carnac (56) – Crédit photo : Eric Frotier

QU’EST-CE QUI TE PASSIONNE DANS TON (TES) MÉTIER(S) ?

Il y a ce lien à l’obscurité. Il est très discret, mais omniprésent. Ce qui me passionne, c’est d’étudier, au travers du rapport à la lumière artificielle, le rapport sous-jacent que les individus, groupes et sociétés entretiennent avec l’obscurité. Nous arrivons, par l’ensemble des trajectoires empruntées, à une forme de saturation de l’espace nocturne par la lumière : saturation spatiale, temporelle, physique, sensible. De l’éclairage public à nos téléphones, nous sommes en permanence exposés à des sources lumineuses.

Les services qui en découlent apportent des formes incontestables de confort, mais interrogent sur leur exclusivité : pourrions-nous nous déplacer autrement que sous une quantité de lumière déterminée par une norme, ou à l’aide d’outils de navigation numérique ? Depuis plusieurs décennies, des groupes et associations militent pour une préservation du ciel nocturne. Souvent dans l’objectif de restituer l’accès à la voûte céleste. Les discours parfois très affirmés se heurtent à l’écosystème industriel, politique et culturel en place : pourquoi éteindre, alors que nos sociétés occidentales évoluent économiquement, socialement et politiquement grâce à l’éclairage artificiel depuis de nombreuses générations ?

C’est ici que revient la question du rapport à l’obscurité. Envisager de réduire les formes d’éclairage, c’est assumer de restituer l’obscurité, mais dans quel but ? Quelles sont les ressources que nous allons y retrouver, quelles représentations cela nous impose-t-il de déconstruire ? Ce qui me passionne ici, c’est la rapidité, l’aisance et la satisfaction avec lesquelles les interlocuteurs que je rencontre s’engagent dans ce processus de déconstruction, et interrogent leur propre rapport à l’obscurité.

Y A-T-IL UN PROJET DONT TU ES PARTICULIÈREMENT FIER ET QUE TU AIMERAIS PARTAGER AVEC NOUS ?

Je crois qu’il s’agit davantage d’un processus que d’un projet en particulier. Ce processus, c’est celui de la contextualisation du projet et de l’introduction affirmée de l’obscurité. Dans l’ensemble des réalisations accomplies à ce jour par L’Observatoire de la nuit, la valeur essentielle est toujours de récolter les informations d’espaces et de temps. Je pense par exemple à Skedanoz, le spectacle nocturne estival à Carnac. La priorité est mise, chaque année depuis 2014, au renouvellement intégral de l’événement : ambiance sonore, ambiance lumineuse et, surtout, narration. Ce qui fait l’exclusivité de Skedanoz, c’est prioritairement les menhirs, puis les histoires qu’on leur prête, et que l’on réécrit, chaque année, pour apporter un contenu inédit aux spectateurs.

La seconde dimension de L’Observatoire de la nuit est de réduire la quantité d’éclairage artificiel à son minimum. Je pense par exemple à la mise en lumière des remparts de Port-Louis, dans le Morbihan. Nous aurions pu présenter une mise en valeur traditionnelle en illuminant les remparts en contre-plongée, ou même en frontal. Mais notre approche consiste véritablement à produire une mise en récit unique du paysage nocturne local. Alors, nous nous sommes penchés sur ce que ces remparts pouvaient à la fois révéler et dissimuler, et nous avons construit notre récit autour de cette question de masque et de divulgation.

De jour, ces remparts cachent la plage, la rade de Lorient et l’ensemble des reliefs marins et sous-marins. Ces reliefs deviennent l’élément central de notre approche : vernaculaires et à l’épreuve du temps, nous les déterminons comme les éléments fondamentaux du paysage. La mise en lumière les reprend alors : en collaboration avec l’artiste-illustratrice Léa Le Thoër, nous déployons une formidable interprétation de la carte des fonds marins locaux, qui s’étend sur 80 mètres de large et près de 10 de haut. Les remparts, qui de jour cachent le paysage marin, les révèlent la nuit par la projection de cette fresque colossale.

Skedanoz 2018, Le Bono (56) – Crédit photo : Julien Danielo

L’enseignement

PENDANT 3 ANS TU AS ÉTÉ ENSEIGNANT À L’ESMA NANTES. POURQUOI ET QU’EST-CE QUI T’A POUSSÉ À PASSER DE L’AUTRE CÔTÉ ?

En 2015, j’arrivais au terme de mes études d’architecture (ENSA Nantes), et je cherchais à équilibrer mes activités professionnelles entre du projet et de l’enseignement. À cette même période, l’ESMA ouvrait ses portes à Nantes et montait son équipe pédagogique. Cela s’est fait très simplement, en quelques échanges.

Il y avait cette envie de transmettre, forcément. Je regarde toujours mes études à l’ESMA comme l’élément déclencheur du reste de mon parcours, résolument épanouissant professionnellement. Il y avait, et il y a toujours d’ailleurs, cette envie de partager, de restituer, à mon échelle, la passion qui s’est dévoilée à ce moment.

TU AS ÉTÉ À LEUR PLACE, étudiant, COMMENT AS-TU AXÉ TA PÉDAGOGIE ?

« Vous faites le projet pour vous, pas pour moi. Faites-vous plaisir« . Il faut transmettre la passion. Si les étudiants prennent du plaisir à mener leurs projets, le résultat, tant dans le fond que dans la forme, a alors davantage de chances d’être de qualité.

Cette notion de passion, je ne crois pas qu’elle se développe en réponse à un cahier des charges trop strict, mais plutôt en suivant ses intuitions et en expérimentant sans aucune retenue. Évidemment, rien ne doit ensuite être gratuit. Certaines de mes promos me surnommaient toujours plus, pour cette méthode que je mettais en place où je leur posais, à chaque fois, une seule et unique question : « Pourquoi ? ». À chaque réponse de qualité, je demandais encore un approfondissement supplémentaire.

La notion de design s’est tellement développée, ramifiée dans ses représentations que le statut de designer semble parfois perdre de son essence. Dans la pédagogie que je propose, devenir designer, c’est construire une capacité personnelle unique, transversale et argumentée, de justifier et d’objectiver chacun de ses choix. Les étudiants doivent trouver et construire des ressources qui leurs sont propres et qui feront d’eux des professionnels de qualité, recherchés pour leur identité.

Il s’agit donc de consolider une posture et d’affirmer un processus de conception caractéristique de chaque individu. Souvent, j’encourage les étudiants à mobiliser des références inattendues, à documenter densément leurs expérimentations, leurs croquis et maquettes volumétriques et surtout à mettre en récit de leur processus de conception bien davantage que de produire quelques images ou vidéos de synthèse finales, qui ne racontent qu’un échantillon infime de l’intelligence et des savoir-faire qu’ils détiennent.

EST-CE PLUS FACILE DE COMPRENDRE LES ATTENTES DES ÉTUDIANTS ?

Jusqu’à une certaine limite peut-être. Mais le rôle du pédagogue est d’abord, de mon point de vue, d’aller capter l’essence de chaque étudiante et étudiant et de l’accompagner dans sa révélation. Il faut éviter de produire des promotions génériques et homogènes et, au contraire, encourager les parcours et expériences atypiques.

L’école, c’est un laboratoire et un tremplin. C’est un moment suspendu pour saisir un maximum d’éléments sur soi-même et sur un avenir professionnel. Il faut à tout prix éviter de produire une trajectoire linéaire, au risque de rencontrer des débouchés moins stimulants. Les opportunités se présentent régulièrement, pour tout le monde. Le rôle du pédagogue, c’est de donner les méthodes, les outils et la confiance suffisante aux étudiants pour qu’ils les saisissent et construisent leur propre parcours.

QU’EST-CE QUE CES ANNÉES D’ENSEIGNEMENT T’ONT APPORTÉ ?

Il y a une responsabilité relativement importante dans l’acte d’enseigner. Pour certains étudiants, il s’agit de leur premier contact avec l’enseignement supérieur, dès lors, il faut leur offrir une expérience de qualité, capable d’être renouvelée et dynamisée. Pour l’essayiste Joseph Joubert, « enseigner, c’est apprendre deux fois« .

Déterminer un programme pédagogique, c’est devoir s’assurer de sa pertinence en termes de transmission de connaissances, d’outils et surtout de méthode. Il faut sans cesse se renouveler, s’informer, compléter ses connaissances et ses compétences pour être sûr que les éléments apportés aux étudiants sont de qualité, à jour et utiles à la suite de leur parcours. En ce sens donc, ces années d’enseignement deviennent aussi une opportunité de poursuivre son perfectionnement une fois son propre parcours scolaire terminé.

Enfin, ces années d’enseignement apportent bien évidemment une richesse d’échanges formels et informels, et l’élargissement d’un socle social. Certains de mes étudiants sont devenus des amis proches, des personnes désormais en activité dont le parcours amène une satisfaction partagée.

PENSES-TU RETOURNER DANS L’ENSEIGNEMENT ?

Absolument ! J’y suis régulièrement dans le cadre de séminaires spécifiques dédiés au sujet de la ville nocturne. L’idée est désormais de proposer des formations axées sur l’expertise que j’ai développée durant la thèse : la pédagogie de la sobriété lumineuse.

Le simple fait que le titre de mon travail doctoral comprenne « pédagogie » souligne par ailleurs l’importance que j’accorde à l’enseignement. Dans l’idéal, il faudrait désormais réussir à inscrire la notion d’urbanisme nocturne dans des temps de formation longs, afin de former des lights designers, ou plutôt des dark designers, pour reprendre la notion avancée par le chercheur Nick Dunn, capables de maîtriser l’importante transversalité de l’espace-temps nocturne des environnements urbains et ruraux.

Skedanoz 2016, Carnac (56) – Crédit photo : Eric Frotier

En conclusion

DES PROJETS À VENIR ?

Il y a des projets dans plusieurs disciplines. Dans l’immédiat, je suis mobilisé sur de nombreuses missions opérationnelles liées à la sobriété lumineuse, dans des environnements urbains et ruraux, là où certaines collectivités attendent des conseils et des éléments méthodologiques pour accompagner la transition énergétique et environnementale de l’éclairage artificiel, à la fois public et privé. Par exemple, nous ouvrons avec l’association IPAMAC une première étape de dialogue avec les acteurs privés de l’éclairage artificiel en plein cœur des Parcs Naturels Régionaux du Massif central. C’est une action inédite, qui espère sensibiliser les artisans, commerçants, industriels, hôteliers et professionnels du tourisme à la notion de sobriété lumineuse. Ce champ est à ce jour très peu exploré, et je suis ravi de participer à ces premières initiatives, qui sont indispensables dans la poursuite d’un objectif partagé de sobriété.

En parallèle, mon travail de recherche rencontre plusieurs atterrissages : des cycles de conférence avec des environnements institutionnels comme la FNCCR ou encore la publication dans des ouvrages internationaux à l’image de Transforming Urban Nightlife and the Development of Smart Public Spaces, aux éditions IGI Global à paraître en mai 2021.

Enfin, le triptyque opérationnel – recherche – enseignement se concrétise actuellement avec l’opportunité d’accompagner des étudiants, ponctuellement ou au long cours, dans la prise en compte des considérations nocturnes dans leurs études de design, d’urbanisme et d’architecture. Ces premières étapes d’enseignement vont me permettre d’étudier et de développer un programme pédagogique qui, je l’espère, permettra dans quelques années de développer une véritable formation à l’obscurité.

UN CONSEIL À DONNER AUX ÉTUDIANTS ET FUTURS ÉTUDIANTS ?

Un axe de réflexion peut-être oui, celui d’explorer ses intuitions jusqu’à en créer des éléments structurés et objectivés. Se faire confiance et expérimenter sans retenue.

Il y a de mon point de vue une importante clé de résolution dans l’expérimentation. Il faut saisir la temporalité des études pour se confronter à autant de domaines, de media, d’exercices différents. Effectuer des stages dans des structures de petite, moyenne et grande envergure ; s’essayer à la vidéo, à l’écriture, à la lumière, mais aussi à la littérature, à l’histoire, à la sociologie et à la philosophie.

C’est au fil de ces expériences que se dessine le parcours professionnel et la capacité à en emprunter les virages. Il faut, résolument, expérimenter.


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